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Eckhard Frick : « Mobiliser le guérisseur intérieur »

Journal Le Temps (CH) – Rubrique Santé, Patricia Briel, le 6 décembre 2008

« La spiritualité devrait faire partie des soins octroyés aux personnes souffrant d’une maladie grave, si celles-ci le souhaitaient. Tel est l’avis du jésuite allemand et psycho-oncologue Eckhard Frick.

Les besoins spirituels des personnes hospitalisées reçoivent une attention de plus en plus grande des milieux médicaux, notamment des psychiatres, psychanalystes et psychothérapeutes qui s’occupent de patients cancéreux, à savoir les psycho-oncologues. Des études faites en Allemagne et dans le monde anglo-saxon montrent que la prise en compte des questions existentielles des patients améliore leur qualité de vie. Surtout lorsqu’ils sont atteints d’une maladie grave. En Suisse, certains hôpitaux se sont dotés d’une grille d’évaluation spirituelle des malades appelée STIV (acronyme de Sens, Transcendance, Identité et Valeurs) afin de répondre à leurs besoins. Tel est le cas du CHUV. Son aumônerie œcuménique a récemment organisé un colloque sur le thème «Soins et spiritualité», auquel était invité Eckhard Frick, un jésuite allemand psychiatre et psychanalyste spécialisé dans le domaine de la psycho-oncologie. Entretien.

Le Temps: Comment définissez-vous la psycho-oncologie?

Eckhard Frick: C’est un mariage très heureux entre l’oncologie et la psychothérapie. Cette discipline est née il y a une vingtaine d’années aux Etats-Unis, mais elle est encore peu connue et pratiquée en Europe. Le but n’est pas d’éliminer le cancer, mais de travailler en équipe avec les médecins et le personnel soignant afin d’aider le patient à affronter la maladie et à améliorer ses capacités de résilience. Il s’agit de mobiliser son guérisseur intérieur. Cela lui permet de donner un sens à l’absurdité que représente le cancer. Il faut préciser ici que la psycho-oncologie n’est pas une théorie psychologique de la maladie. Autrefois, on attribuait le cancer à des facteurs psy, on parlait d’une personnalité cancéreuse. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Bien sûr, rien n’empêche le patient de croire à une cause psychologique de son cancer. Cette croyance peut lui être utile, car elle lui donne la possibilité de mettre de l’ordre dans quelque chose de chaotique. Mais certains patients adoptent une attitude d’autopunition: ils se croient coupables de leur cancer. Le psycho-oncologue peut les aider à adopter un autre point de vue.

Et quelle est la place de la spiritualité en psycho-oncologie?

La médecine européenne a une position de neutralité par rapport à la spiritualité. Mais elle ne peut négliger les besoins des patients. Si ceux-ci ont une demande dans ce domaine et qu’elle est ignorée, il peut s’ensuivre un état de détresse spirituelle. Il est donc nécessaire de procéder à une anamnèse spirituelle des malades. Il s’agit non seulement de savoir si le patient a une appartenance religieuse, mais aussi de comprendre son orientation dans les domaines du sens et de la transcendance, ainsi que le rôle qu’il attribue aux soignants. Même un agnostique peut avoir une forme de spiritualité. On demande d’abord au patient s’il estime être «une personne spirituelle». La question est large, et la spiritualité n’est pas associée à une religion. On essaie de savoir quels sont les besoins spécifiques du malade; ils peuvent être pris en charge par un psychothérapeute, une infirmière, un aumônier, un médecin.

Répondre aux besoins spirituels des patients n'est pas forcément à la portée de tout le personnel soignant. Quelles sont les qualités requises pour faire un tel travail?

Il convient d’être attentif. Il peut arriver par exemple qu’un médecin confonde la détresse spirituelle avec la dépression. Et la tristesse que quelqu’un éprouve lorsqu’il sait qu’il va mourir n’est pas de la dépression. Il est donc important d’écouter le malade, et de ne pas lui répondre avec des discours psychologiques ou théologiques. Il s’agit d’un accompagnement. Le patient doit pouvoir exprimer sa douleur sans que ceux qui l’entourent ne l’abreuvent de leurs conseils. Quoique bien intentionnées, certaines personnes surprotègent ou infantilisent les malades. On peut trouver un exemple de cette situation dans la Bible, en particulier dans le Livre de Job. Job perd tous ses biens, ses enfants et tombe malade. Il ne comprend pas ce qui lui arrive. Il souffre, car ses amis ont des explications théologiques à tous ses maux. L’accompagnant doit accueillir les ambivalences du malade, qui flotte souvent entre réalisme et déni de la maladie. Souvent, le déni est la meilleure technique d’affrontement de la maladie. Encaisser un diagnostic, ça prend du temps. C’est une négociation. Le secteur palliatif a été le premier à intégrer le domaine spirituel. La spiritualité présente une dimension fondamentale de notre vie entière. Bien qu’elle nous interpelle dans les situations de crise et de maladie grave, la quête spirituelle ne nous quitte jamais tant que nous respirons. C’est en effet la signification du mot «spiritualité»: recevoir et donner le souffle.

Le fait de prendre en compte les besoins spirituels des malades ne constitue-t-il pas un risque, dans la mesure où ceux-ci pourraient développer un espoir de guérison illusoire?

Il faut distinguer entre deux types de guérison, que j’appelle «to cure» et «to heal». «To cure» consiste à éliminer la maladie. C’est la visée de la médecine classique, qui peut échouer. C’est là qu’entre en jeu la visée palliative. «To heal» a pour but de favoriser une réconciliation du patient avec ses propres limites, sa finitude. Cette demande de guérison, le malade l’a jusqu’à son dernier souffle. «To heal» inclut donc le travail de trépas, que nous devons tous faire, tôt ou tard. »

interview

Eckhard Frick : « Mobiliser le guérisseur intérieur »

Journal Le Temps (CH) – Rubrique Santé, Patricia Briel, le 6 décembre 2008

« La spiritualité devrait faire partie des soins octroyés aux personnes souffrant d’une maladie grave, si celles-ci le souhaitaient. Tel est l’avis du jésuite allemand et psycho-oncologue Eckhard Frick.

Les besoins spirituels des personnes hospitalisées reçoivent une attention de plus en plus grande des milieux médicaux, notamment des psychiatres, psychanalystes et psychothérapeutes qui s’occupent de patients cancéreux, à savoir les psycho-oncologues. Des études faites en Allemagne et dans le monde anglo-saxon montrent que la prise en compte des questions existentielles des patients améliore leur qualité de vie. Surtout lorsqu’ils sont atteints d’une maladie grave. En Suisse, certains hôpitaux se sont dotés d’une grille d’évaluation spirituelle des malades appelée STIV (acronyme de Sens, Transcendance, Identité et Valeurs) afin de répondre à leurs besoins. Tel est le cas du CHUV. Son aumônerie œcuménique a récemment organisé un colloque sur le thème «Soins et spiritualité», auquel était invité Eckhard Frick, un jésuite allemand psychiatre et psychanalyste spécialisé dans le domaine de la psycho-oncologie. Entretien.

Le Temps: Comment définissez-vous la psycho-oncologie?

Eckhard Frick: C’est un mariage très heureux entre l’oncologie et la psychothérapie. Cette discipline est née il y a une vingtaine d’années aux Etats-Unis, mais elle est encore peu connue et pratiquée en Europe. Le but n’est pas d’éliminer le cancer, mais de travailler en équipe avec les médecins et le personnel soignant afin d’aider le patient à affronter la maladie et à améliorer ses capacités de résilience. Il s’agit de mobiliser son guérisseur intérieur. Cela lui permet de donner un sens à l’absurdité que représente le cancer. Il faut préciser ici que la psycho-oncologie n’est pas une théorie psychologique de la maladie. Autrefois, on attribuait le cancer à des facteurs psy, on parlait d’une personnalité cancéreuse. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Bien sûr, rien n’empêche le patient de croire à une cause psychologique de son cancer. Cette croyance peut lui être utile, car elle lui donne la possibilité de mettre de l’ordre dans quelque chose de chaotique. Mais certains patients adoptent une attitude d’autopunition: ils se croient coupables de leur cancer. Le psycho-oncologue peut les aider à adopter un autre point de vue.

Et quelle est la place de la spiritualité en psycho-oncologie?

La médecine européenne a une position de neutralité par rapport à la spiritualité. Mais elle ne peut négliger les besoins des patients. Si ceux-ci ont une demande dans ce domaine et qu’elle est ignorée, il peut s’ensuivre un état de détresse spirituelle. Il est donc nécessaire de procéder à une anamnèse spirituelle des malades. Il s’agit non seulement de savoir si le patient a une appartenance religieuse, mais aussi de comprendre son orientation dans les domaines du sens et de la transcendance, ainsi que le rôle qu’il attribue aux soignants. Même un agnostique peut avoir une forme de spiritualité. On demande d’abord au patient s’il estime être «une personne spirituelle». La question est large, et la spiritualité n’est pas associée à une religion. On essaie de savoir quels sont les besoins spécifiques du malade; ils peuvent être pris en charge par un psychothérapeute, une infirmière, un aumônier, un médecin.

Répondre aux besoins spirituels des patients n'est pas forcément à la portée de tout le personnel soignant. Quelles sont les qualités requises pour faire un tel travail?

Il convient d’être attentif. Il peut arriver par exemple qu’un médecin confonde la détresse spirituelle avec la dépression. Et la tristesse que quelqu’un éprouve lorsqu’il sait qu’il va mourir n’est pas de la dépression. Il est donc important d’écouter le malade, et de ne pas lui répondre avec des discours psychologiques ou théologiques. Il s’agit d’un accompagnement. Le patient doit pouvoir exprimer sa douleur sans que ceux qui l’entourent ne l’abreuvent de leurs conseils. Quoique bien intentionnées, certaines personnes surprotègent ou infantilisent les malades. On peut trouver un exemple de cette situation dans la Bible, en particulier dans le Livre de Job. Job perd tous ses biens, ses enfants et tombe malade. Il ne comprend pas ce qui lui arrive. Il souffre, car ses amis ont des explications théologiques à tous ses maux. L’accompagnant doit accueillir les ambivalences du malade, qui flotte souvent entre réalisme et déni de la maladie. Souvent, le déni est la meilleure technique d’affrontement de la maladie. Encaisser un diagnostic, ça prend du temps. C’est une négociation. Le secteur palliatif a été le premier à intégrer le domaine spirituel. La spiritualité présente une dimension fondamentale de notre vie entière. Bien qu’elle nous interpelle dans les situations de crise et de maladie grave, la quête spirituelle ne nous quitte jamais tant que nous respirons. C’est en effet la signification du mot «spiritualité»: recevoir et donner le souffle.

Le fait de prendre en compte les besoins spirituels des malades ne constitue-t-il pas un risque, dans la mesure où ceux-ci pourraient développer un espoir de guérison illusoire?

Il faut distinguer entre deux types de guérison, que j’appelle «to cure» et «to heal». «To cure» consiste à éliminer la maladie. C’est la visée de la médecine classique, qui peut échouer. C’est là qu’entre en jeu la visée palliative. «To heal» a pour but de favoriser une réconciliation du patient avec ses propres limites, sa finitude. Cette demande de guérison, le malade l’a jusqu’à son dernier souffle. «To heal» inclut donc le travail de trépas, que nous devons tous faire, tôt ou tard. »

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Compte-rendu de colloque

Eckhard Frick : « Mobiliser le guérisseur intérieur »

Journal Le Temps (CH) – Rubrique Santé, Patricia Briel, le 6 décembre 2008

« La spiritualité devrait faire partie des soins octroyés aux personnes souffrant d’une maladie grave, si celles-ci le souhaitaient. Tel est l’avis du jésuite allemand et psycho-oncologue Eckhard Frick.

Les besoins spirituels des personnes hospitalisées reçoivent une attention de plus en plus grande des milieux médicaux, notamment des psychiatres, psychanalystes et psychothérapeutes qui s’occupent de patients cancéreux, à savoir les psycho-oncologues. Des études faites en Allemagne et dans le monde anglo-saxon montrent que la prise en compte des questions existentielles des patients améliore leur qualité de vie. Surtout lorsqu’ils sont atteints d’une maladie grave. En Suisse, certains hôpitaux se sont dotés d’une grille d’évaluation spirituelle des malades appelée STIV (acronyme de Sens, Transcendance, Identité et Valeurs) afin de répondre à leurs besoins. Tel est le cas du CHUV. Son aumônerie œcuménique a récemment organisé un colloque sur le thème «Soins et spiritualité», auquel était invité Eckhard Frick, un jésuite allemand psychiatre et psychanalyste spécialisé dans le domaine de la psycho-oncologie. Entretien.

Le Temps: Comment définissez-vous la psycho-oncologie?

Eckhard Frick: C’est un mariage très heureux entre l’oncologie et la psychothérapie. Cette discipline est née il y a une vingtaine d’années aux Etats-Unis, mais elle est encore peu connue et pratiquée en Europe. Le but n’est pas d’éliminer le cancer, mais de travailler en équipe avec les médecins et le personnel soignant afin d’aider le patient à affronter la maladie et à améliorer ses capacités de résilience. Il s’agit de mobiliser son guérisseur intérieur. Cela lui permet de donner un sens à l’absurdité que représente le cancer. Il faut préciser ici que la psycho-oncologie n’est pas une théorie psychologique de la maladie. Autrefois, on attribuait le cancer à des facteurs psy, on parlait d’une personnalité cancéreuse. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Bien sûr, rien n’empêche le patient de croire à une cause psychologique de son cancer. Cette croyance peut lui être utile, car elle lui donne la possibilité de mettre de l’ordre dans quelque chose de chaotique. Mais certains patients adoptent une attitude d’autopunition: ils se croient coupables de leur cancer. Le psycho-oncologue peut les aider à adopter un autre point de vue.

Et quelle est la place de la spiritualité en psycho-oncologie?

La médecine européenne a une position de neutralité par rapport à la spiritualité. Mais elle ne peut négliger les besoins des patients. Si ceux-ci ont une demande dans ce domaine et qu’elle est ignorée, il peut s’ensuivre un état de détresse spirituelle. Il est donc nécessaire de procéder à une anamnèse spirituelle des malades. Il s’agit non seulement de savoir si le patient a une appartenance religieuse, mais aussi de comprendre son orientation dans les domaines du sens et de la transcendance, ainsi que le rôle qu’il attribue aux soignants. Même un agnostique peut avoir une forme de spiritualité. On demande d’abord au patient s’il estime être «une personne spirituelle». La question est large, et la spiritualité n’est pas associée à une religion. On essaie de savoir quels sont les besoins spécifiques du malade; ils peuvent être pris en charge par un psychothérapeute, une infirmière, un aumônier, un médecin.

Répondre aux besoins spirituels des patients n'est pas forcément à la portée de tout le personnel soignant. Quelles sont les qualités requises pour faire un tel travail?

Il convient d’être attentif. Il peut arriver par exemple qu’un médecin confonde la détresse spirituelle avec la dépression. Et la tristesse que quelqu’un éprouve lorsqu’il sait qu’il va mourir n’est pas de la dépression. Il est donc important d’écouter le malade, et de ne pas lui répondre avec des discours psychologiques ou théologiques. Il s’agit d’un accompagnement. Le patient doit pouvoir exprimer sa douleur sans que ceux qui l’entourent ne l’abreuvent de leurs conseils. Quoique bien intentionnées, certaines personnes surprotègent ou infantilisent les malades. On peut trouver un exemple de cette situation dans la Bible, en particulier dans le Livre de Job. Job perd tous ses biens, ses enfants et tombe malade. Il ne comprend pas ce qui lui arrive. Il souffre, car ses amis ont des explications théologiques à tous ses maux. L’accompagnant doit accueillir les ambivalences du malade, qui flotte souvent entre réalisme et déni de la maladie. Souvent, le déni est la meilleure technique d’affrontement de la maladie. Encaisser un diagnostic, ça prend du temps. C’est une négociation. Le secteur palliatif a été le premier à intégrer le domaine spirituel. La spiritualité présente une dimension fondamentale de notre vie entière. Bien qu’elle nous interpelle dans les situations de crise et de maladie grave, la quête spirituelle ne nous quitte jamais tant que nous respirons. C’est en effet la signification du mot «spiritualité»: recevoir et donner le souffle.

Le fait de prendre en compte les besoins spirituels des malades ne constitue-t-il pas un risque, dans la mesure où ceux-ci pourraient développer un espoir de guérison illusoire?

Il faut distinguer entre deux types de guérison, que j’appelle «to cure» et «to heal». «To cure» consiste à éliminer la maladie. C’est la visée de la médecine classique, qui peut échouer. C’est là qu’entre en jeu la visée palliative. «To heal» a pour but de favoriser une réconciliation du patient avec ses propres limites, sa finitude. Cette demande de guérison, le malade l’a jusqu’à son dernier souffle. «To heal» inclut donc le travail de trépas, que nous devons tous faire, tôt ou tard. »

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Eckhard Frick : « Mobiliser le guérisseur intérieur »

Journal Le Temps (CH) – Rubrique Santé, Patricia Briel, le 6 décembre 2008

« La spiritualité devrait faire partie des soins octroyés aux personnes souffrant d’une maladie grave, si celles-ci le souhaitaient. Tel est l’avis du jésuite allemand et psycho-oncologue Eckhard Frick.

Les besoins spirituels des personnes hospitalisées reçoivent une attention de plus en plus grande des milieux médicaux, notamment des psychiatres, psychanalystes et psychothérapeutes qui s’occupent de patients cancéreux, à savoir les psycho-oncologues. Des études faites en Allemagne et dans le monde anglo-saxon montrent que la prise en compte des questions existentielles des patients améliore leur qualité de vie. Surtout lorsqu’ils sont atteints d’une maladie grave. En Suisse, certains hôpitaux se sont dotés d’une grille d’évaluation spirituelle des malades appelée STIV (acronyme de Sens, Transcendance, Identité et Valeurs) afin de répondre à leurs besoins. Tel est le cas du CHUV. Son aumônerie œcuménique a récemment organisé un colloque sur le thème «Soins et spiritualité», auquel était invité Eckhard Frick, un jésuite allemand psychiatre et psychanalyste spécialisé dans le domaine de la psycho-oncologie. Entretien.

Le Temps: Comment définissez-vous la psycho-oncologie?

Eckhard Frick: C’est un mariage très heureux entre l’oncologie et la psychothérapie. Cette discipline est née il y a une vingtaine d’années aux Etats-Unis, mais elle est encore peu connue et pratiquée en Europe. Le but n’est pas d’éliminer le cancer, mais de travailler en équipe avec les médecins et le personnel soignant afin d’aider le patient à affronter la maladie et à améliorer ses capacités de résilience. Il s’agit de mobiliser son guérisseur intérieur. Cela lui permet de donner un sens à l’absurdité que représente le cancer. Il faut préciser ici que la psycho-oncologie n’est pas une théorie psychologique de la maladie. Autrefois, on attribuait le cancer à des facteurs psy, on parlait d’une personnalité cancéreuse. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Bien sûr, rien n’empêche le patient de croire à une cause psychologique de son cancer. Cette croyance peut lui être utile, car elle lui donne la possibilité de mettre de l’ordre dans quelque chose de chaotique. Mais certains patients adoptent une attitude d’autopunition: ils se croient coupables de leur cancer. Le psycho-oncologue peut les aider à adopter un autre point de vue.

Et quelle est la place de la spiritualité en psycho-oncologie?

La médecine européenne a une position de neutralité par rapport à la spiritualité. Mais elle ne peut négliger les besoins des patients. Si ceux-ci ont une demande dans ce domaine et qu’elle est ignorée, il peut s’ensuivre un état de détresse spirituelle. Il est donc nécessaire de procéder à une anamnèse spirituelle des malades. Il s’agit non seulement de savoir si le patient a une appartenance religieuse, mais aussi de comprendre son orientation dans les domaines du sens et de la transcendance, ainsi que le rôle qu’il attribue aux soignants. Même un agnostique peut avoir une forme de spiritualité. On demande d’abord au patient s’il estime être «une personne spirituelle». La question est large, et la spiritualité n’est pas associée à une religion. On essaie de savoir quels sont les besoins spécifiques du malade; ils peuvent être pris en charge par un psychothérapeute, une infirmière, un aumônier, un médecin.

Répondre aux besoins spirituels des patients n'est pas forcément à la portée de tout le personnel soignant. Quelles sont les qualités requises pour faire un tel travail?

Il convient d’être attentif. Il peut arriver par exemple qu’un médecin confonde la détresse spirituelle avec la dépression. Et la tristesse que quelqu’un éprouve lorsqu’il sait qu’il va mourir n’est pas de la dépression. Il est donc important d’écouter le malade, et de ne pas lui répondre avec des discours psychologiques ou théologiques. Il s’agit d’un accompagnement. Le patient doit pouvoir exprimer sa douleur sans que ceux qui l’entourent ne l’abreuvent de leurs conseils. Quoique bien intentionnées, certaines personnes surprotègent ou infantilisent les malades. On peut trouver un exemple de cette situation dans la Bible, en particulier dans le Livre de Job. Job perd tous ses biens, ses enfants et tombe malade. Il ne comprend pas ce qui lui arrive. Il souffre, car ses amis ont des explications théologiques à tous ses maux. L’accompagnant doit accueillir les ambivalences du malade, qui flotte souvent entre réalisme et déni de la maladie. Souvent, le déni est la meilleure technique d’affrontement de la maladie. Encaisser un diagnostic, ça prend du temps. C’est une négociation. Le secteur palliatif a été le premier à intégrer le domaine spirituel. La spiritualité présente une dimension fondamentale de notre vie entière. Bien qu’elle nous interpelle dans les situations de crise et de maladie grave, la quête spirituelle ne nous quitte jamais tant que nous respirons. C’est en effet la signification du mot «spiritualité»: recevoir et donner le souffle.

Le fait de prendre en compte les besoins spirituels des malades ne constitue-t-il pas un risque, dans la mesure où ceux-ci pourraient développer un espoir de guérison illusoire?

Il faut distinguer entre deux types de guérison, que j’appelle «to cure» et «to heal». «To cure» consiste à éliminer la maladie. C’est la visée de la médecine classique, qui peut échouer. C’est là qu’entre en jeu la visée palliative. «To heal» a pour but de favoriser une réconciliation du patient avec ses propres limites, sa finitude. Cette demande de guérison, le malade l’a jusqu’à son dernier souffle. «To heal» inclut donc le travail de trépas, que nous devons tous faire, tôt ou tard. »

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Eckhard Frick : « Mobiliser le guérisseur intérieur »

Journal Le Temps (CH) – Rubrique Santé, Patricia Briel, le 6 décembre 2008

« La spiritualité devrait faire partie des soins octroyés aux personnes souffrant d’une maladie grave, si celles-ci le souhaitaient. Tel est l’avis du jésuite allemand et psycho-oncologue Eckhard Frick.

Les besoins spirituels des personnes hospitalisées reçoivent une attention de plus en plus grande des milieux médicaux, notamment des psychiatres, psychanalystes et psychothérapeutes qui s’occupent de patients cancéreux, à savoir les psycho-oncologues. Des études faites en Allemagne et dans le monde anglo-saxon montrent que la prise en compte des questions existentielles des patients améliore leur qualité de vie. Surtout lorsqu’ils sont atteints d’une maladie grave. En Suisse, certains hôpitaux se sont dotés d’une grille d’évaluation spirituelle des malades appelée STIV (acronyme de Sens, Transcendance, Identité et Valeurs) afin de répondre à leurs besoins. Tel est le cas du CHUV. Son aumônerie œcuménique a récemment organisé un colloque sur le thème «Soins et spiritualité», auquel était invité Eckhard Frick, un jésuite allemand psychiatre et psychanalyste spécialisé dans le domaine de la psycho-oncologie. Entretien.

Le Temps: Comment définissez-vous la psycho-oncologie?

Eckhard Frick: C’est un mariage très heureux entre l’oncologie et la psychothérapie. Cette discipline est née il y a une vingtaine d’années aux Etats-Unis, mais elle est encore peu connue et pratiquée en Europe. Le but n’est pas d’éliminer le cancer, mais de travailler en équipe avec les médecins et le personnel soignant afin d’aider le patient à affronter la maladie et à améliorer ses capacités de résilience. Il s’agit de mobiliser son guérisseur intérieur. Cela lui permet de donner un sens à l’absurdité que représente le cancer. Il faut préciser ici que la psycho-oncologie n’est pas une théorie psychologique de la maladie. Autrefois, on attribuait le cancer à des facteurs psy, on parlait d’une personnalité cancéreuse. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Bien sûr, rien n’empêche le patient de croire à une cause psychologique de son cancer. Cette croyance peut lui être utile, car elle lui donne la possibilité de mettre de l’ordre dans quelque chose de chaotique. Mais certains patients adoptent une attitude d’autopunition: ils se croient coupables de leur cancer. Le psycho-oncologue peut les aider à adopter un autre point de vue.

Et quelle est la place de la spiritualité en psycho-oncologie?

La médecine européenne a une position de neutralité par rapport à la spiritualité. Mais elle ne peut négliger les besoins des patients. Si ceux-ci ont une demande dans ce domaine et qu’elle est ignorée, il peut s’ensuivre un état de détresse spirituelle. Il est donc nécessaire de procéder à une anamnèse spirituelle des malades. Il s’agit non seulement de savoir si le patient a une appartenance religieuse, mais aussi de comprendre son orientation dans les domaines du sens et de la transcendance, ainsi que le rôle qu’il attribue aux soignants. Même un agnostique peut avoir une forme de spiritualité. On demande d’abord au patient s’il estime être «une personne spirituelle». La question est large, et la spiritualité n’est pas associée à une religion. On essaie de savoir quels sont les besoins spécifiques du malade; ils peuvent être pris en charge par un psychothérapeute, une infirmière, un aumônier, un médecin.

Répondre aux besoins spirituels des patients n'est pas forcément à la portée de tout le personnel soignant. Quelles sont les qualités requises pour faire un tel travail?

Il convient d’être attentif. Il peut arriver par exemple qu’un médecin confonde la détresse spirituelle avec la dépression. Et la tristesse que quelqu’un éprouve lorsqu’il sait qu’il va mourir n’est pas de la dépression. Il est donc important d’écouter le malade, et de ne pas lui répondre avec des discours psychologiques ou théologiques. Il s’agit d’un accompagnement. Le patient doit pouvoir exprimer sa douleur sans que ceux qui l’entourent ne l’abreuvent de leurs conseils. Quoique bien intentionnées, certaines personnes surprotègent ou infantilisent les malades. On peut trouver un exemple de cette situation dans la Bible, en particulier dans le Livre de Job. Job perd tous ses biens, ses enfants et tombe malade. Il ne comprend pas ce qui lui arrive. Il souffre, car ses amis ont des explications théologiques à tous ses maux. L’accompagnant doit accueillir les ambivalences du malade, qui flotte souvent entre réalisme et déni de la maladie. Souvent, le déni est la meilleure technique d’affrontement de la maladie. Encaisser un diagnostic, ça prend du temps. C’est une négociation. Le secteur palliatif a été le premier à intégrer le domaine spirituel. La spiritualité présente une dimension fondamentale de notre vie entière. Bien qu’elle nous interpelle dans les situations de crise et de maladie grave, la quête spirituelle ne nous quitte jamais tant que nous respirons. C’est en effet la signification du mot «spiritualité»: recevoir et donner le souffle.

Le fait de prendre en compte les besoins spirituels des malades ne constitue-t-il pas un risque, dans la mesure où ceux-ci pourraient développer un espoir de guérison illusoire?

Il faut distinguer entre deux types de guérison, que j’appelle «to cure» et «to heal». «To cure» consiste à éliminer la maladie. C’est la visée de la médecine classique, qui peut échouer. C’est là qu’entre en jeu la visée palliative. «To heal» a pour but de favoriser une réconciliation du patient avec ses propres limites, sa finitude. Cette demande de guérison, le malade l’a jusqu’à son dernier souffle. «To heal» inclut donc le travail de trépas, que nous devons tous faire, tôt ou tard. »

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Eckhard Frick : « Mobiliser le guérisseur intérieur »

Journal Le Temps (CH) – Rubrique Santé, Patricia Briel, le 6 décembre 2008

« La spiritualité devrait faire partie des soins octroyés aux personnes souffrant d’une maladie grave, si celles-ci le souhaitaient. Tel est l’avis du jésuite allemand et psycho-oncologue Eckhard Frick.

Les besoins spirituels des personnes hospitalisées reçoivent une attention de plus en plus grande des milieux médicaux, notamment des psychiatres, psychanalystes et psychothérapeutes qui s’occupent de patients cancéreux, à savoir les psycho-oncologues. Des études faites en Allemagne et dans le monde anglo-saxon montrent que la prise en compte des questions existentielles des patients améliore leur qualité de vie. Surtout lorsqu’ils sont atteints d’une maladie grave. En Suisse, certains hôpitaux se sont dotés d’une grille d’évaluation spirituelle des malades appelée STIV (acronyme de Sens, Transcendance, Identité et Valeurs) afin de répondre à leurs besoins. Tel est le cas du CHUV. Son aumônerie œcuménique a récemment organisé un colloque sur le thème «Soins et spiritualité», auquel était invité Eckhard Frick, un jésuite allemand psychiatre et psychanalyste spécialisé dans le domaine de la psycho-oncologie. Entretien.

Le Temps: Comment définissez-vous la psycho-oncologie?

Eckhard Frick: C’est un mariage très heureux entre l’oncologie et la psychothérapie. Cette discipline est née il y a une vingtaine d’années aux Etats-Unis, mais elle est encore peu connue et pratiquée en Europe. Le but n’est pas d’éliminer le cancer, mais de travailler en équipe avec les médecins et le personnel soignant afin d’aider le patient à affronter la maladie et à améliorer ses capacités de résilience. Il s’agit de mobiliser son guérisseur intérieur. Cela lui permet de donner un sens à l’absurdité que représente le cancer. Il faut préciser ici que la psycho-oncologie n’est pas une théorie psychologique de la maladie. Autrefois, on attribuait le cancer à des facteurs psy, on parlait d’une personnalité cancéreuse. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Bien sûr, rien n’empêche le patient de croire à une cause psychologique de son cancer. Cette croyance peut lui être utile, car elle lui donne la possibilité de mettre de l’ordre dans quelque chose de chaotique. Mais certains patients adoptent une attitude d’autopunition: ils se croient coupables de leur cancer. Le psycho-oncologue peut les aider à adopter un autre point de vue.

Et quelle est la place de la spiritualité en psycho-oncologie?

La médecine européenne a une position de neutralité par rapport à la spiritualité. Mais elle ne peut négliger les besoins des patients. Si ceux-ci ont une demande dans ce domaine et qu’elle est ignorée, il peut s’ensuivre un état de détresse spirituelle. Il est donc nécessaire de procéder à une anamnèse spirituelle des malades. Il s’agit non seulement de savoir si le patient a une appartenance religieuse, mais aussi de comprendre son orientation dans les domaines du sens et de la transcendance, ainsi que le rôle qu’il attribue aux soignants. Même un agnostique peut avoir une forme de spiritualité. On demande d’abord au patient s’il estime être «une personne spirituelle». La question est large, et la spiritualité n’est pas associée à une religion. On essaie de savoir quels sont les besoins spécifiques du malade; ils peuvent être pris en charge par un psychothérapeute, une infirmière, un aumônier, un médecin.

Répondre aux besoins spirituels des patients n'est pas forcément à la portée de tout le personnel soignant. Quelles sont les qualités requises pour faire un tel travail?

Il convient d’être attentif. Il peut arriver par exemple qu’un médecin confonde la détresse spirituelle avec la dépression. Et la tristesse que quelqu’un éprouve lorsqu’il sait qu’il va mourir n’est pas de la dépression. Il est donc important d’écouter le malade, et de ne pas lui répondre avec des discours psychologiques ou théologiques. Il s’agit d’un accompagnement. Le patient doit pouvoir exprimer sa douleur sans que ceux qui l’entourent ne l’abreuvent de leurs conseils. Quoique bien intentionnées, certaines personnes surprotègent ou infantilisent les malades. On peut trouver un exemple de cette situation dans la Bible, en particulier dans le Livre de Job. Job perd tous ses biens, ses enfants et tombe malade. Il ne comprend pas ce qui lui arrive. Il souffre, car ses amis ont des explications théologiques à tous ses maux. L’accompagnant doit accueillir les ambivalences du malade, qui flotte souvent entre réalisme et déni de la maladie. Souvent, le déni est la meilleure technique d’affrontement de la maladie. Encaisser un diagnostic, ça prend du temps. C’est une négociation. Le secteur palliatif a été le premier à intégrer le domaine spirituel. La spiritualité présente une dimension fondamentale de notre vie entière. Bien qu’elle nous interpelle dans les situations de crise et de maladie grave, la quête spirituelle ne nous quitte jamais tant que nous respirons. C’est en effet la signification du mot «spiritualité»: recevoir et donner le souffle.

Le fait de prendre en compte les besoins spirituels des malades ne constitue-t-il pas un risque, dans la mesure où ceux-ci pourraient développer un espoir de guérison illusoire?

Il faut distinguer entre deux types de guérison, que j’appelle «to cure» et «to heal». «To cure» consiste à éliminer la maladie. C’est la visée de la médecine classique, qui peut échouer. C’est là qu’entre en jeu la visée palliative. «To heal» a pour but de favoriser une réconciliation du patient avec ses propres limites, sa finitude. Cette demande de guérison, le malade l’a jusqu’à son dernier souffle. «To heal» inclut donc le travail de trépas, que nous devons tous faire, tôt ou tard. »

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