Raconter la maladie, des mots pour traverser le chaos

Rozenn Le Berre (sous la direction de), coll. « Santé en soi », Bruxelles, Mardaga, 2020, 125 p. ISBN : 9782804708344

 

Alliant le recours à la littérature contemporaine, aux récits et les ressources de l’expérience personnelle et professionnelle, une philosophe entourée de cliniciennes nous ouvre à l’espace et à l’importance des mots au cœur de l’expérience de la maladie grave. Comment ces derniers permettent-ils de l’habiter au mieux pour se comprendre et tenter de se dire à soi et aux autres pour ne pas se forclore dans le chaos ? Cet ouvrage au style très plaisant propose quelques pistes. Les mots et récits donnent de faire face à un événement, celui de la maladie, venant faire rupture dans l’existence ; en ce sens, les récits de maladies sont à appréhender du côté d’une autonomie relationnelle à retrouver sans cesse, ouvrant à un autre regard sur soi, mais aussi de la part de l’autre. En effet, bien souvent, l’annonce de la maladie viendra faire effraction et, pour certains patients, la mise en mot – parfois partagés par une expérience d’écriture – permettra une nouvelle habitation de la vie. C’est toute l’importance de l’écriture comme objet transitionnel qui se trouve de la sorte soulignée. Etant donné le caractère central des mots, on ne sera pas surpris de l’importance prise de nos jours par les ateliers d’écriture proposés dans certaines structures hospitalières où, par une sorte d’introspection dialoguante, les personnes malades, tout en se disant à elles-mêmes, font également œuvre de transmission, laissent une trace lorsque ces récits se trouvent soutenus par une dynamique d’accompagnement au terme de l’existence. Mais le récit n’est pas seulement affaire de mots et de littérature car, au cœur de la maladie grave, le corps devient également langage qu’il importera d’écouter au cœur du soin, qu’il s’agisse de la plainte mais également – surtout ? – de ce qu’il dit de l’évolution de celle, celui qui l’habite, corps auquel il faudra concéder dans ce qu’il fait récit de sa propre vie. Enfin, les mots sont aussi les mots non-dits, difficiles à prononcer car nommer, c’est toujours aussi transformer. C’est dans ce contexte que le livre se termine par le récit d’une jeune médecin faisant récit de la prise en compte progressive des mots au cours de son parcours de formation, apprentissage constant à une parole d’espoir ajustée dans des prises en charge très techniques, ici l’hématologie. Sans le dire explicitement, ce livre ouvre résolument à la question de l’intériorité et offre de belles clés d’attention au statut de la parole dans le soin et l’accompagnement. Il ouvre également la lectrice, le lecteur à une prise de conscience accrue de sa capacité réelle d’écouter, d’entendre pour être, si besoin, « caisse de résonance » aux mots de la personne en situation de souffrance. Un ouvrage à conseiller résolument dans les parcours de formation et à goûter pour relire une pratique de soin et/ou d’accompagnement.

 

Dominique Jacquemin