1. Théorie
Nous vous invitons à lire ces quelques extraits de la thèse de Sr Marie-Pierre Aouara, thèse en Philosophie de l’Université de Paris-Est, 2013. Pour lire le document complet
Marie-Pierre Aouara est diaconesse de Reuilly et responsable du pôle éthique des différents sites hospitaliers et sanitaires de la fondation diaconnesses de Reuilly réunissant un quarantaine d’institutions de soins en France.
L’invitation à être
« Le contraire de la présence silencieuse est le bruit, la parole qui remplit et qui tient lieu «d’être.»
Auprès d’une personne qui se meurt, l’appel à «être» est une invitation à se tenir aux rives de la vie qui nous convoque à «être-là», comme désarmés, dépourvus d’une parole rassurante, d’une explication. Nous sommes invités à nous tenir tout près du rythme de la vie qui s’écoule devant nos yeux et à y prêter l’oreille intérieure dans une écoute qui soutient la parole ou le silence sans s’imposer. Notre présence ici est, dans son essence même, pauvre, démunie et extrême. … Dans cette présence, nous entendons la vie dans un bruissement, dans un souffle à peine perceptible. Nous nous tenons dans cette limite, à cette extrême précarité de la présence inutile et nécessaire. Précédant cet «être-là», à cette place inconfortable, la réponse à l’appel consiste d’abord à habiter sa propre intériorité, c’est-à-dire à avoir pu faire, un jour, l’expérience de l’accueil de sa propre impuissance et de sa fragilité dans la solitude et le silence. » (extrait p.181)
La présence silencieuse : une expérience pratique
« La présence silencieuse est une parole qui se dit dans les mots étouffés, dans le secret et le mystère. C’est une expérience pratique. Elle rend possible l’espace du déploiement de l’être, au-delà de la sensation et du jugement; elle est un soin spirituel. Dans le temps, comme suspendu par «la médiation des corps», l’homme se met en attitude d’éveil, laisse monter dans le secret ce qui est enfoui et caché. » (extrait p.201)
Silence absence, silence présence
« Dans la chambre d’un patient, la densité des instants vécus produit ainsi un climat de silence qui s’impose de lui-même, mais qu’il n’est pas facile de supporter. D’où parfois la présence d’un fond musical ou d’une télévision allumée, comme pour permettre au visiteur ou à l’entourage de se distraire de ce silence assourdissant que l’on cherche à réprimer, ou bien à lui donner un contenu. Si la présence silencieuse peut être attention et soin, elle implique, une parole:celle que l’on adresse à la personne que nous pensons vivante jusqu’à la fin. C’est le court mot qui est dit par le soignant lorsqu’il entre dans la chambre,la parole qui prévient du geste de la manipulation,ou les mots choisis avec attention pour les dire comme une précaution à l’égard de celui qui ne peut répondre directement.C’est la proposition délicate de se tenir en silence près de la personne sans chercher à s’imposer. Il est souvent déplacé qu’un soignant ou un médecin, sous prétexte de respect, entre et s’approche d’une personne en état d’inconscience, la palpe, l’ausculte sans dire un mot, ou qu’un accompagnant d’aumônerie ou un bénévole se tienne près de la personne dans un fauteuil sans lui dire un mot, sans se présenter ou s’excuser de cette intrusion. Ici, le silence est une absence. La parole est d’emblée pensée comme inutile et ridicule. La personne est vue comme incapable de comprendre et d’entendre la parole adressée. De ce fait, n’étant plus considérée comme sujet de la relation, elle est vue un peu comme un objet inanimé, vivant mais déjà mort socialement. Finalement, ce silence-là est faux et suspect, il ne communique pas l’amour, mais il produit son effet contraire: le mutisme de l’irrespect, le faux silence. » (extrait p.121)
Présence et souffrance
« Dans la démarche d’accompagnement, il s’agit d’accueillir la parole de l’autre en soi, de ne rien imposer, pas même son point de vue. Le patient qui parle est reçu, accueilli dans un espace où il peut advenir au plus profond de lui, sans jugement, dans le temps dont il a besoin. L’être ne peut pas toujours se livrer en totalité. La vérité comme recherche et comme dialogue ouvre un chemin à l’intérieur de l’écoute silencieuse de l’autre. Le recours au langage peut en effet nous éloigner de l’autre. Mais dans les services hospitaliers, il y a aussi des silences inhumains qui parlent comme en écho à notre imaginaire, comme celui du sifflement rauque et obsédant, si caractéristique de celui qui se meurt. Il est aussi celui qui précède les gémissements et les cris de certains patients dont la douleur est réfractaire à tout traitement, et qui sont dans une souffrance intense. La présence à ce silence-là est la plus difficile à supporter: elle nous convoque, nous provoque même d’avance à l’impuissance, à l’intenable de l’épreuve. Mais c’est pourtant ici que la présence silencieuse est la plus légitime, car elle s’appuie sur l’appel de la personne qui, non soulagée par les calmants, crie et sollicite une juste présence, si possible silencieuse, qui supporte avec elle, près d’elle, sa détresse. Levinas dit de la plainte qu’elle est une prière. Dans cet appel d’impuissance et de désarroi face à un mal irreprésentable qui accable et isole, la présence silencieuse est souci et attention; elle sollicite la responsabilité et convoque pour donner et recevoir, mais surtout pour se laisser toucher par les cris inhumains qu’un homme pousse comme un nouveau-né. Ce silence est comme un silence d’inertie, un silence où affleurent le néant et la mort. » (extrait p.100)
Aouara MP., La présence silencieuse auprès d’un patient en fin de vie, un soin spirituel, Thèse de doctorat en philosophie pratique. Université Paris Descartes ; 2013
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Ces extraits sont complétées par une citation de Bernard Feuillet que Sr Aouara met en valeur dans sa thèse:
« Le secret qui habite les êtres ne peut pas être dévoilé, mais il est possible de découvrir qu’ils en sont habités. En ce sens, la foi est la contemplation de l’ultime en chaque être. Il arrive qu’une parole nous rejoigne, dans l’émotion que nous en éprouvons, nous reconnaissons qu’elle nous était destinée et que d’autres partagent avec nous ce que, livrés à nous-mêmes, nous n’aurions pas su formuler. Cette parole, je la reçois comme une parole religieuse. »
Bernard Feuillet, «Eveiller le désir du divin», in Alain Houziaux, A-t-on encore besoin d’une religion?, Paris, l’Atelier, 2003, p.49.
2. Exercice d'appropriation/de réflexion
Rôle du ou de la cadre : discussion fictive
Imaginons que l’infirmier.ère-cadre de votre équipe soit passé.e dans l’équipe en soirée : lui auriez-vous parlé de ce moment de prénsece silencieuse (et/ou priante)? Avez-vous déjà eu l’autorisation explicite en équipe d’être simplement là pour soutenir par votre simple présence un.e patient.e ou ses proches?
excellent ! en effet les moments de silence sont des moments d’invitation, intenses