Chapitre 1B : Construction identitaire et transreligiosité
Introduction
Vous pourrez apprendre ce que recouvrent les concepts de transreligiosité et transculturalité et approfondir leur implication dans votre propre construction identitaire.
En partant des précautions sur les appartenances « pures » à une culture ou une religion, nous aborderons la perspective de « migration des identités ».
1. Transculturalité intrapersonnelle
INTRODUCTION : Le concept de « transculturalité* »
Ce terme signifie « aller au-delà d’une culture », « dépasser une culture spécifique » (du latin trans : au-delà de). Quelque chose de nouveau surgit, qui inclut les différentes cultures, les englobe ou les traverse (par exemple : les réseaux).
Nous explorerons ce que signifie la transculturalité au sein de la relation soignant-soigné, aidé-aidant, dans le chapitre 3.
Ici, nous abordons ce que signifie la transculturalité au niveau INTRAPERSONNEL, en faisant écho à ce travail initial sur les représentations. En effet, la transculturalité nous déplace depuis les généralités que nous pensons saisir d’une culture – que l’on considérerait comme bien circonscrite, soi-disant « pure » –, vers une considération de la culture comme un métissage permanent, empruntant au fil du temps des éléments qui lui deviennent ensuite constitutifs. Un métissage particulièrement accéléré et complexe dans les zones urbaines où p.ex. les mélanges de population sont très diversifiés.
*L’anthropologue culturel cubain Fernando Ortiz a employé le terme « transculturación » dès les années 1940 pour parler du processus de transmission et d’appropriation d’éléments culturels d’origines très différentes en prenant l’exemple de l’industrie du tabac et du sucre à Cuba (Ortiz 1940).
Identités transculturelles
Conflits intergénérationnels et identité
Les migrant·es de la première génération se différencient de la deuxième et troisième génération par leur degré d’enracinement dans l’identité culturelle du pays d’origine et leur degré d’attachement aux valeurs traditionnelles.
Les deuxième et troisième générations, vivent un conflit entre l’identité culturelle de leurs parents et leur socialisation extra-familiale dans le pays d’immigration (les propos précédents de Lersner/Baschin/Heinze 2011 sont modérés par les auteurs) . Les parents ressentent souvent ce détachement envers leurs propres normes et valeurs comme une dévalorisation de leurs objectifs de vie. Ce conflit perpétuel entre rapprochement et différenciation par rapport aux valeurs parentales et à la culture occidentale fait parfois peser d’importants fardeaux psychosociaux sur les jeunes générations. Ils influencent les résultats scolaires, l’orientation professionnelle et par conséquent l’intégration en général.
Du point de vue des enfants et des jeunes, la culture d’origine ainsi que la culture d’accueil peuvent être perçues comme des barrières infranchissables dans différents domaines (rôle de la famille, sens de l’honneur et de la morale, par exemple en matière de virginité). Le désir d’opter pour l’une ou l’autre culture intensifie les conflits intrapsychiques. Ils ont aussi développé leur propre « culture personnelle » à partir de ces deux cultures sans qu’elle soit pour autant suffisamment verbalisée et suffisamment acceptée par celles-ci. (Uslucan 2008).
Traduction adaptée du Cours REspicare VUB Munich, Prof. Kizihan,sous la direction du Prof. Eckhard Frick et de la Prof. Lydia Maidl
Pour aller plus loin, nous vous invitons à cliquer sur la vignette « Hazem Yabroudi » en haut à droite de ce bloc, afin de visionner l’interview de ce médiateur intercuturel à propos des compétences transculturelles.
Humilité culturelle
Marie-Laure Vetterli est maître d’enseignement et de recherche à l’institut universitaire de formation et recherche en soins de l’Université de Lausanne (CH).
Elle aborde dans cette vidéo le concept d’humilité culturelle, la différence entre les compétences culturelles et l’humilité culturelle et enfin nous aide à réfléchir à quelles questions nous pouvons nous poser pour savoir si nous sommes « culturellement humbles » en traversant les différentes composantes de l’humilité culturelle qui se manifestent.
Elle nous aide à passer de la conscience culturelle à l’humilité culturelle qui est encore différente des compétences culturelles.
Cliquer sur une question pour arriver directement à ce moment de l’interview :
Conformément à sa racine latine (trans : au-delà de, par delà), le mot transreligieux caractérise des processus et des comportements qui dépassent le cadre d’une seule religion. Les mots transreligieux et transculturel sont formés de manière analogue et sont foncièrement liés. Le mot « transreligieux » renvoie essentiellement à trois significations :
« une pensée ou plus précisément une spiritualité qui revendique de dépasser le cadre des religions établies (« trans » comme dans « transcendant »), un peu comme une expérience mystique suprahistorique considérée comme l’origine unique de toutes les religions » (Baier 2004 : 1)
« des points communs que l’on retrouve dans toutes les religions » (Baier 2004 : 1)
« le passage d’un espace de traditions religieuses à un ou plusieurs autres espaces » (Baier 2004 : 1). Il se produit alors des emprunts, des appropriations mais aussi des réactions de défense. C’est un phénomène universel. Il existe très peu de sociétés sans contact culturel et religieux avec les ethnies et les peuples voisins. Il faut donc toujours compter avec des influences extérieures (Baier 2004 : 3).
Le terme « transreligieux » a manifestement une connotation très positive.
Il a servi p.ex. à distinguer Navid Kermani quand on lui a décerné le prix Hannah-Arendt en 2011 : « Sa pensée est transculturelle et transreligieuse mais ne succombe jamais au danger toujours latent qui consiste à dissimuler ou omettre les séparations réelles. » (Knott 2011 : en ligne).
Dans la vie de tous les jours, les notions de multireligiosité, interreligiosité et transreligiosité sont souvent interchangeables. On peut proposer une différenciation entre « interreligiosité » et « transreligiosité » en se basant sur la construction de mots analogues dans le domaine de la culture (voir chapitre 2). Comme la transculturalité, la transreligiosité est une perspective sur les réalités de la vie des hommes et des femmes d’aujourd’hui qui leur correspond à la fois dans leur individualité et dans leur appartenance à une communauté.Elle ne se réfère pas de façon normative à la « pureté » d’une religion et ne présuppose pas non plus d’identités socioreligieuses stables.
Identités transreligieuses
L’attribution précise d’une appartenance religieuse est souvent considérée comme un phénomène européen qui ne s’applique à la spiritualité asiatique par exemple que d’une façon limitée (Rotting 2016 : 116). Dans le contexte asiatique, on observe un phénomène d‘appartenance religieuse multiple. Mais il en est de même pour les Européens qui étudient intensivement et pratiquent deux religions ou plus, comme certaines personnes qui se disent à la fois chrétiennes et bouddhistes (Brantschen 2002).
Prenons l’exemple de tamouls mêlant la pratique très naturelle de l’hindouisme et des éléments de spiritualité chrétienne, comme la dévotion à la Vierge Marie : il s’agit d’un phénomène transreligieux, une forme d’appartenance religieuse multiple.
Une attitude transreligieuse ne contredit en rien un enracinement dans une tradition religieuse définie.
Compétences
La transreligiosité dans le Spiritual Care implique pour les aidants des compétences relevant de la sensibilité religieuse, une ouverture par rapport aux questions existentielles et à l’engagement culturel et religieux concret des personnes qui leur sont confiées, le tout lié à une réflexion professionnelle sur eux-mêmes concernant leur propre positionnement spirituel et religieux.
La perspective transreligieuse (tournée vers soi) ouvre le regard sur les répercussions que peut avoir, la rencontre avec des personnes appartenant à d’autres religions et à d’autres spiritualités sur sa propre identité philosophique, spirituelle et religieuse . Découvrez la perspective transreligieuse et transculturelle dans la relation interpersonnelle au chapitre 2!
À noter :
Pour accueillir des migrant·es, il faut prendre en considération le fait que « les espaces dans lesquels les transferts religieux se jouent ne sont pas exempts de phénomènes de domination. Au contraire, ces transferts sont pris dans un rapport de force sociopolitique et socio-psychologique. » (Baier 2004 : 3). Des mécanismes de rejet aussi bien que d’acceptation se manifestent. La religion d’une personne peut d’abord être pour elle un lieu où elle se sent en sécurité. Mais d’un autre côté, elle peut facilement se soumettre à des processus d’assimilation pour renforcer sa « désirabilité sociale ». Par exemple, il se peut qu’elle exprime avec plus d’insistance un point de vue laïc sur les soins médicaux.
Traduction et adaptation du Cours REspicare VUB Munich, sous la direction du Prof. Eckhard Frick et de la Prof. Lydia Maidl
Ecoutez le témoignage de Hussein, venu d’Irak en Belgique, qui vit un processus d’émancipation important pour lui depuis son départ. Il prône la religion « dans son cœur », appréciant la laïcité en vigueur dans son pays d’accueil.
Remarques suite à l’interview :
De nombreuses personnes musulmanes interviewées en Occident décrivent une réorientation (d’intensité variable) de leur spiritualité vers la sphère privée. Elle devient une intériorité personnelle pratiquée en famille et de moins en moins en communauté. Les raisons de cette évolution sont le transfert de la liberté et de la neutralité religieuses de la sphère publique vers sa propre communauté religieuse, la crainte de se voir exclu en étant associé à un islam(isme) militant ainsi que la relativisation de sa propre religion, avec notamment l’installation d’une suspicion par rapport à des pratiques rigides.
En même temps, on observe qu’une importance nouvelle est accordée à la dimension existentielle, à la fois dans une solidarité humaine globale (besoins fondamentaux communs, rationalité commune), et dans un engagement mutuel estimé par tous qui prend la forme de secours sociaux et médicaux indépendants de la religion.
Il·elle·s décrivent parfois leur identité religieuse de façon très différente : comme une spiritualité, au sens d’une foi en Dieu sans lien concret avec une religion, comme une pratique personnelle de sa religion qui peut aller jusqu’à à la croyance profonde en la vérité spécifique (mais pas forcément exclusive) de sa propre religion ou confession. La tendance à la réorientation vers la sphère privée des musulman·ne·s interviewé·e·s contraste avec l’accentuation de la pratique religieuse communautaire concrète de migrant.es chrétiens. Cela montre l’importance du contexte social : « À leur arrivée, les communautés chrétiennes de migrant·e·s trouvent […] souvent des conditions fondamentalement différentes [comparé aux communautés non-chrétiennes, c’est-à-dire les musulmans, les hindous, les bouddhistes, les yézidis
et les sikhs] car elles peuvent s’appuyer à la fois sur l’infrastructure et sur la légitimité des églises en place. » (Nagel 2015 : 76)
Chez les musulman·ne·s, on peut s’attendre à ce que la peur d’être exclu·e·s accompagnée du souhait de répondre à des critères de désirabilité sociale les empêchent d’avoir une pratique religieuse communautaire visible, et d’en parler.
Ces généralités sont à nuancer selon les contextes et les personnes bien évidemment.
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