b. Transreligiosité

Introduction

Conformément à sa racine latine (trans : au-delà de, par delà), le mot transreligieux caractérise des processus et des comportements qui dépassent le cadre d’une seule religion. Les mots transreligieux et transculturel sont formés de manière analogue et sont foncièrement liés. Le mot « transreligieux » renvoie essentiellement à trois significations :

  1. « une pensée ou plus précisément une spiritualité qui revendique de dépasser le cadre des religions établies (« trans » comme dans « transcendant »), un peu comme une expérience mystique suprahistorique considérée comme l’origine unique de toutes les religions » (Baier 2004 : 1)
  2. « des points communs que l’on retrouve dans toutes les religions » (Baier 2004 : 1)
  3. « le passage d’un espace de traditions religieuses à un ou plusieurs autres espaces » (Baier 2004 : 1). Il se produit alors des emprunts, des appropriations mais aussi des réactions de défense. C’est un phénomène universel. Il existe très peu de sociétés sans contact culturel et religieux avec les ethnies et les peuples voisins. Il faut donc toujours compter avec des influences extérieures (Baier 2004 : 3).

 

Le terme « transreligieux » a manifestement une connotation très positive.

Il a servi p.ex. à distinguer Navid Kermani quand on lui a décerné le prix Hannah-Arendt en 2011 : « Sa pensée est transculturelle et transreligieuse mais ne succombe jamais au danger toujours latent qui consiste à dissimuler ou omettre les séparations réelles. » (Knott 2011 : en ligne).

Dans la vie de tous les jours, les notions de multireligiosité, interreligiosité et transreligiosité sont souvent interchangeables. On peut proposer une différenciation entre « interreligiosité » et « transreligiosité » en se basant sur la construction de mots analogues dans le domaine de la culture (voir chapitre 2). Comme la transculturalité, la transreligiosité est une perspective sur les réalités de la vie des hommes et des femmes d’aujourd’hui qui leur correspond à la fois dans leur individualité et dans leur appartenance à une communauté. Elle ne se réfère pas de façon normative à la « pureté » d’une religion et ne présuppose pas non plus d’identités socioreligieuses stables.

multi-inter-transculturalité

Identités transreligieuses

L’attribution précise d’une appartenance religieuse est souvent considérée comme un phénomène européen qui ne s’applique à la spiritualité asiatique par exemple que d’une façon limitée (Rotting 2016 : 116). Dans le contexte asiatique, on observe un phénomène dappartenance religieuse multiple. Mais il en est de même pour les Européens qui étudient intensivement et pratiquent deux religions ou plus, comme certaines personnes qui se disent à la fois chrétiennes et bouddhistes (Brantschen 2002).

Prenons l’exemple de tamouls mêlant la pratique très naturelle de l’hindouisme et des éléments de spiritualité chrétienne, comme la dévotion à la Vierge Marie : il s’agit d’un phénomène transreligieux, une forme d’appartenance religieuse multiple.

Une attitude transreligieuse ne contredit en rien un enracinement dans une tradition religieuse définie.

Compétences

La transreligiosité dans le Spiritual Care implique pour les aidants des compétences relevant de la sensibilité religieuse, une ouverture par rapport aux questions existentielles et à l’engagement culturel et religieux concret des personnes qui leur sont confiées, le tout lié à une réflexion professionnelle sur eux-mêmes concernant leur propre positionnement spirituel et religieux.

La perspective transreligieuse (tournée vers soi) ouvre le regard sur les répercussions que peut avoir,  la rencontre avec des personnes appartenant à d’autres religions et à d’autres spiritualités sur sa propre identité philosophique, spirituelle et religieuse . Découvrez la perspective transreligieuse et transculturelle dans la relation interpersonnelle au chapitre 2!

 

À noter :

Pour accueillir des migrant·es, il faut prendre en considération le fait que « les espaces dans lesquels les transferts religieux se jouent ne sont pas exempts de phénomènes de domination. Au contraire, ces transferts sont pris dans un rapport de force sociopolitique et socio-psychologique. » (Baier 2004 : 3). Des mécanismes de rejet aussi bien que d’acceptation se manifestent. La religion d’une personne peut d’abord être pour elle un lieu où elle se sent en sécurité. Mais d’un autre côté, elle peut facilement se soumettre à des processus d’assimilation pour renforcer sa « désirabilité sociale ». Par exemple, il se peut qu’elle exprime avec plus d’insistance un point de vue laïc sur les soins médicaux.

 

Traduction et adaptation du Cours REspicare VUB Munich, sous la direction du Prof. Eckhard Frick et de la Prof. Lydia Maidl

 

 

Ecoutez le témoignage de Hussein, venu d’Irak en Belgique, qui vit un processus d’émancipation important pour lui depuis son départ. Il prône la religion « dans son cœur », appréciant la laïcité en vigueur dans son pays d’accueil.

 

 

Remarques suite à l’interview :

De nombreuses personnes musulmanes interviewées en Occident décrivent une réorientation (d’intensité variable) de leur spiritualité vers la sphère privée. Elle devient une intériorité personnelle pratiquée en famille et de moins en moins en communauté. Les raisons de cette évolution sont le transfert de la liberté et de la neutralité religieuses de la sphère publique vers sa propre communauté religieuse, la crainte de se voir exclu en étant associé à un islam(isme) militant ainsi que la relativisation de sa propre religion, avec notamment l’installation d’une suspicion par rapport à des pratiques rigides.
En même temps, on observe qu’une importance nouvelle est accordée à la dimension existentielle, à la fois dans une solidarité humaine globale (besoins fondamentaux communs, rationalité commune), et dans un engagement mutuel estimé par tous qui prend la forme de secours sociaux et médicaux indépendants de la religion.

Il·elle·s décrivent parfois leur identité religieuse de façon très différente : comme une spiritualité, au sens d’une foi en Dieu sans lien concret avec une religion, comme une pratique personnelle de sa religion qui peut aller jusqu’à à la croyance profonde en la vérité spécifique (mais pas forcément exclusive) de sa propre religion ou confession.
La tendance à la réorientation vers la sphère privée des musulman·ne·s interviewé·e·s contraste avec l’accentuation de la pratique religieuse communautaire concrète de migrant.es chrétiens. Cela montre l’importance du contexte social : « À leur arrivée, les communautés chrétiennes de migrant·e·s trouvent […] souvent des conditions fondamentalement différentes [comparé aux communautés non-chrétiennes, c’est-à-dire les musulmans, les hindous, les bouddhistes, les yézidis
et les sikhs] car elles peuvent s’appuyer à la fois sur l’infrastructure et sur la légitimité des églises en place. » (Nagel 2015 : 76)
Chez les musulman·ne·s, on peut s’attendre à ce que la peur d’être exclu·e·s accompagnée du souhait de répondre à des critères de désirabilité sociale les empêchent d’avoir une pratique religieuse communautaire visible, et d’en parler.

Ces généralités sont à nuancer selon les contextes et les personnes bien évidemment.

 

 

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