La conversion religieuse : un processus créatif

Brandt Pierre-Yves, 2005. Archives de psychologie, 71 pp. 131-154.

Les récits de conversion religieuse présentent plusieurs traits communs avec les récits de découvertes scientifiques (Aha-Erlebnisse, expériences de eurêka): événement instantané, exceptionnel, inattendu, marquant une rupture par rapport au passé. Or, il s’agit dans les deux cas de reconstructions a posteriori qui ont tendance à survaloriser le caractère instantané d’un événement au détriment du processus organisant la mise en place d’une nouvelle vision du monde. Howard Gruber l’a très bien montré dans son étude consacrée à Charles Darwin. Là où le récit autobiographique, formulé une quarantaine d’années après l’énoncé de la théorie de la sélection naturelle, donne l’impression d’une intuition subite, les carnets de notes, rédigés à l’époque où s’élabore la théorie, permettent de mettre en évidence un processus créatif qui s’étale sur près d’un an et demi. Ce constat peut être étendu aux récits de conversion religieuse. Le cas de Martin Luther en est une excellente illustration. Ce parallèle entre découverte scientifique et conversion religieuse jette un éclairage nouveau sur cette dernière: l’événement inattendu où tout bascule doit être articulé avec un processus psychologique qui le porte et même le décompose sur une durée bien plus longue que ce que la mémoire ne le reconstruit après-coup. Au point qu’il n’est pas exagéré de voir dans le récit d’une conversion religieuse, ne serait-ce que pour une part, l’expression de la créativité d’un sujet qui invente une solution au problème de sa vie.

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