Psychothérapie de Dieu

Boris Cyrulnik, Paris, Odile Jacob, 2017, 314 p.

« Aujourd’hui, sur la planète, 7 milliards d’êtres humains entrent plusieurs fois par jour en relation avec un Dieu qui les aide.
Ils sont mus par le désir d’offrir à Dieu et aux autres humains leur temps, leurs biens, leur travail et parfois leur corps pour éprouver le bonheur de donner du bonheur.

Méditer, trouver son chemin de vie personnel, éprouver la joie de se sentir vivant parmi ceux qu’on aime – la spiritualité élargit la fraternité à tous les croyants du monde.

La psychothérapie de Dieu nous aide à affronter les souffrances de l’existence et à mieux profiter du simple bonheur d’être.

Il y a certainement une explication psychologique à cette grâce.

Ce livre est le résultat de cette quête. »

À propos de l’auteur : Boris Cyrulnik est neuropsychiatre et directeur d’enseignement à l’université de Toulon. Il est l’auteur de nombreux ouvrages qui ont tous été d’immenses succès, notamment Les Vilains Petits Canards, Parler d’amour au bord du gouffre, mais aussi Sauve-toi, la vie t’appelle.

Recension

Dans le vaste champ contemporain de la littérature traitant de la spiritualité et d’un « retour » de cette dernière, Boris Cyrulnik apporte sa lecture du phénomène. Initialement connu pour ses écrits relatifs à la résilience, il aborde ici, impressionné par l’engagement des enfants soldats en RDC, le concept d’attachement pour travailler comment ce concept pourrait être de nos jours une modalité de compréhension d’un « retour du religieux » dans des sociétés en perte de valeurs communément structurantes. Sa pensée se développe autour de trois idées principales (p. 290). Dans chaque culture – et quelle qu’elle soit –, la religion est un phénomène mental qui caractérise la condition humaine ; en ce sens, la religion a tendance à organiser tout groupe humain et influence dès la plus petite enfance le développement neurologique, affectif et psychologique de tout humain. Enfin, toute religion met en scène des rituels, une hiérarchie de valeurs créant une estime de soi (je peux y correspondre et les vivre), accompagnée généralement d’un élan transcendantal. Ces diverses dimensions créent une sécurité d’attachement à l’image de ce qui se tisse, en situation normale, dans l’évolution psycho-affective de tout enfant à l’égard de ses parents : par l’attachement, il acquiert les bases d’amour, d’estime de soi dont il a besoin pour se développer et vivre ultérieurement. En ce sens, « Dieu », comme toute figure parentale, soutient l’existence, particulièrement dans son rapport à la souffrance et au malheur et permet de profiter d’un bonheur simple.

Le parcours réflexif proposé est intéressant à plus d’un titre. Il montre tout d’abord combien le rapport instauré au spirituel se construit dans un mixte biophysiologique, neurologique et culturel (apprentissage direct et indirect de ritualité et de valeurs) permettant à l’humain de tenir au cœur de sa propre existence, que ce spirituel soit de dimension religieuse ou non ; le simple fait de croire, y compris de croire que Dieu n’existe pas. Il s’agit donc toujours d’une instance invisible, puissante, permettant à l’humain de s’y retrouver dans ses relations et au cœur d’une organisation sociale. Quand cette dernière a manqué dans le processus d’éducation – carence affective, psychique, économique, etc –, elle pourra être recherchée dans une dimension transcendante-religieuse, pour survivre à n’importe quel prix, phénomène pouvant donner de comprendre l’engagement de certains adolescents dans les actes d’intégrisme que nous connaissons aujourd’hui. En effet, pour l’auteur, lorsque les sociétés ne sont plus en mesure de partager du sens, ce dernier sera recherché, parfois jusque dans l’excès, au cœur d’un « transcendant ». Il offre de la sorte, à travers le prisme de la spiritualité, une vision du monde contemporain et une clé de compréhension d’un certain retour des religions comme modalité d’attachement lorsque le socio-politique n’offre plus de dimension fédérative pour un vivre ensemble. Cette même grille de lecture permet de comprendre également le retour de certains communautarismes.

Ce reflet du monde et l’explication d’un retour du spirituel sont importants à prendre en compte même si le souci pédagogique de l’auteur risque parfois d’introduire une certaine dualité du monde : le monde des « religieux » et celui de celles et ceux qui, par principe ou méthode, le refusent. Il en va de même lorsqu’il est question de Dieu, figure générique dont le visage de puissance et d’omnipotence pour « soutenir la vie » n’est pas toujours celui qui se révèle dans la personne du Christ. Malgré cette limite, la pensée de Cyrulnik est, de notre point de vue, très stimulante par la grille interprétative qu’elle propose et parce qu’elle bat en brèche tout propos simpliste relatif à la sécularisation. Le monde change et peut-être s’avère-t-il essentiel de déplacer nos critères a priori pour mieux le comprendre et l’habiter.

Dominique Jacquemin