Les ados et leurs croyances : comprendre leur quête de sens, déceler leur mal-être

Christine Aulenbacher et Philippe Le Vallois, Ivry-Sur-Seine, Éditions de l’Atelier, 2006, 159 p. 

Extrait de l’introduction 

Au nom de tous ces adolescents que nous avons rencontrés et qui nous ont permis de conjuguer ce livre à deux voix.

À l’aube de ce troisième millénaire, si les adolescents se posent toujours les mêmes questions que celles des générations précédentes : qu’est-ce qu’aimer ? Suis-je reconnu ? Comment l’être ? Qu’est-ce que je vaux ? Que vais-je faire plus tard ? Qu’est-ce que croire ? Croire en qui, en quoi ? etc., on constate cependant que certains adolescents empruntent des chemins de plus en plus violents pour essayer d’exister, de vivre ou de «sur­vivre» dans un monde qui n’est pas facile pour eux. Rêveurs, ils sont acculés à un état d’urgence, sans même savoir qui ils sont et ce qu’ils veulent faire de leur vie. Orientation, réorientation, préparation, ambition, salaire, confort, la société leur demande de mobiliser toutes leurs capacités au détriment d’une attention réelle aux dimensions plus essentielles de leur personnalité. Emploi du temps «surbooké» avec des investissements considérables dans une multitude d’options, de modules, de sports et d’activités alors que leur être profond demeure sous-alimenté.

Un paradoxe ingérable leur est transmis : «Soyez des adultes» alors que bien des adultes autour d’eux ne sont souvent que de grands adolescents. En témoignent les propos de cette adolescente de 16 ans dont les parents sont divorcés, la mère remariée et le père célibataire : «J’ai enfin casé mon père cet été avec une copine de ma mère.» Les rôles sont inversés. L’adolescent cherche par ailleurs à toucher aux extrêmes. Il aime «s’éclater» comme il dit, mais ce verbe peut recouvrir deux sens bien différents : s’amuser et se détruire. Tout comme d’ailleurs le verbe «se défoncer» qui signifie pour lui se détendre mais aussi se tuer. L’adolescent est attiré par le tout ou rien. Soit, il voit son avenir très haut, mais que fait-il alors des fondations ? Soit il ne voit rien à l’horizon, et il tourne en rond. Dans un cas comme dans l’autre, vont naître en lui des peurs, des angoisses, parfois même des maladies ; en un mot un mal-être exis­tentiel, souvent masqué par des comportements surprenants, incompré­hensibles, voire même violents.

«Le satanisme capte une jeunesse rebelle», «Jeunes séduits par le paranormal», «Engouement des adolescents pour le spiritisme», «Tombes profanées par des lycéennes», «Un adolescent fan de « Scream » poignarde une jeune fille»… Comment ne pas s’inquiéter à la lecture de ces titres parus au cours des derniers mois dans la presse nationale ?

Présentation de l’éditeur

Si les adolescents de ce troisième millénaire se posent les mêmes questions que ceux des générations précédentes concernant l’amour, l’avenir et les croyances, un grand nombre de 13-18 ans empruntent des chemins de plus en plus violents pour essayer d’exister dans un monde en plein bouleversement.

Leurs goûts pour les extrêmes font parfois la «une» de la presse et suscitent une inquiétude légitime parmi leurs proches. Quelle fascination pousse ces adolescents à s’intéresser à des croyances dites parallèles comme le paranormal, le spiritisme, le satanisme, le gothisme ou le soucoupisme ? Quel étrange mobile guide leur recherche : une curiosité dangereuse liée à leur âge ou un mal-être psychique dont il peut être urgent de se préoccuper ?

Le propos des deux auteurs n’est pas d’inquiéter les parents, enseignants, éducateurs qui entourent ces jeunes, mais de donner des repères pour comprendre le monde qui est le leur. Psychopédagogues et spécialistes des croyances parallèles, Christine Aulenbacher et Philippe Le Vallois analysent ces phénomènes et leurs matériaux de manière rigoureuse. Ils donnent des indications précises sur leurs manifestations, leurs conséquences et proposent des pistes pour accompagner les adolescents attirés ou séduits par ces croyances et les pratiques qu’elles engendrent.

Recension

Alain Roy, « Philippe Le Vallois et Christine Aulenbacher, Les ados et leurs croyances. Comprendre leur quête de sens et déceler leur mal-être », Revue des sciences religieuses [En ligne], 82/3 | 2008, mis en ligne le 27 novembre 2012, consulté le 31 octobre 2017. URL : http://rsr.revues.org/778

L’ouvrage est le fruit d’une recherche-action menée par deux chercheurs que leurs responsabilités ecclésiales conduisent à rencontrer et accompagner, non seulement des jeunes de 13 à 18 ans, mais également des parents, des enseignants et enseignantes, des éducateurs et éducatrices. Après avoir assuré durant plus de quinze ans la responsabilité d’aumônerie de lycées et collèges dans le diocèse de Metz, Ch. Aulenbacher est maître de conférences en théologie pratique dans notre Faculté. Chercheur associé à l’unité mixte de recherche « Prisme – Société, Droit et Religion en Europe » (Université Robert Schumann et CNRS), et responsable du service diocésain « Évolutions religieuses et nouvelles religiosités », Ph. Le Vallois est un observateur attentif des évolutions de la société française, notamment celles liées aux croyances et religions.

Lecteurs et lectrices trouveront dans le premier chapitre un rappel des éléments essentiels des acquis de la psychologie de l’adolescence ; dans le deuxième chapitre, consacré à l’univers des adolescents, et dans la première partie du troisième chapitre, décrivant leur croire, ils côtoieront les sociologues contemporains qui donnent une assise aux constats de nos deux auteurs. Prenant appui sur une enquête locale réalisée en 2003 dans le cadre d’une recherche universitaire, le propos consacré aux valeurs des adolescentes et adolescents est construit sur un tripode : aimer, valoir et croire.

Partie la plus originale de l’ouvrage, le quatrième chapitre présente cinq « croyances parallèles d’adolescents » : le paranormal, le satanisme, le gothisme, le spiritisme, le soucoupisme (les extraterrestres). Chacune de ces « croyances parallèles » est présentée de façon originale, sous le même mode, en trois parties : brefs repères historiques, quelques explications, des adolescents fascinés. Cette présentation systématique éclaire le cheminement de la pensée. Toutefois, le théologien pourrait s’interroger sur le choix du mot « croyance » pour définir de tels phénomènes, le qualificatif de « parallèle » ne diminuant en rien cette interrogation. C’est en constatant la fin des catégories traditionnelles de la croyance que, dans la dernière partie du deuxième chapitre, les auteurs font le choix de l’expression « croyances parallèles » : ce faisant, prennent-ils simplement appui sur les travaux du sociologue Yves Lambert ou emploient-ils ce terme pour signifier le regard et les pratiques des adolescents ?

Le dernier chapitre est consacré à l’accompagnement des adolescents. Sont repérées et décrites les attitudes indispensables pour qui cherche à comprendre ce qui se noue et se dénoue durant cette saison de la vie, et pour tous ceux et toutes celles dont le quotidien est nourri de la rencontre avec des adolescents.

En fin d’ouvrage, on trouve une liste des adresses utiles à l’intention des éducateurs et parents qui vivent avec des adolescents ayant des conduites à risque ou qui sont victimes de violences morales ou physiques. Le fait d’avoir inséré cette liste indispensable montre que le souci des auteurs est d’abord de proposer un ouvrage utile à tous ceux et toutes celles qui, à un titre ou à un autre, côtoient des jeunes et les accompagnent dans cette saison de la vie qu’est l’adolescence. On ne trouvera pas ici le développement pointu d’une théorie psychologique et/ou sociologique sur l’adolescence. Les auteurs ont voulu rester accessibles à un large public, tant dans la forme que dans leur style, ce qui n’enlève rien à la précision des propos et à la pertinence des analyses. Leur grand mérite est de nous proposer au fil de la lecture, des liens, voire un dialogue, entre des éléments théoriques et des pratiques, pratiques d’adolescents, mais aussi pratiques d’éducateurs et d’éducatrices, parce que, comme ils le soulignent avec pertinence dans leur introduction, « on ne peut comprendre autrui que si l’on se fait proche de lui ».