Fin de vie & Psychanalyse. Menace de disparition et relance désirante

Jérôme Alric, Paris, Sauramps Medical, 2016, 349 p.
« Les patients que Jérôme Alric rencontre de sa place de psychologue clinicien attaché à une équipe mobile de soins palliatifs ont la particularité d’avoir leur vie psychique à l’arrêt, d’être comme paralysés dans leur pensée. « Les paroles peuvent faire un bien indicible ou créer de terribles blessures », disait Freud. Dans la pratique des soins palliatifs les anticipations probabilistes, issues des constructions médico- biologiques et épidémiologiques du vivant, ont figé par avance la certitude de la mort et avec elle, la vie psychique. Ce savoir est anxiogène, il excède les possibilités de représentations du patient, blesse son narcissisme et l’amène à vivre au-dessus de ses moyens psychiques. Menacé de disparition, le patient qui reçoit cette parole se retrouve aux prises avec une forme de fascination anticipée de sa mort ; il ne fait alors le plus souvent qu’attendre l’heure fatidique, résigné et soumis à l’oracle statistique de son destin. L’orientation hypertechnicienne de la médecine a, sinon créé le mouvement palliatif, tout du moins largement contribué à son développement. Depuis une bonne dizaine d’années, la médecine scientiste a pris conscience de la déshumanisation de ses actes de soins. Elle a décidé de confier à d’autres la prise en charge de la souffrance psychique à proximité de la mort, souffrance qu’elle a, en grande partie, elle-même créée.

 

Véritable humanisation des soins pour ce qui concerne le traitement de la douleur et les symptômes d’inconfort, mais aussi pour toute l’attention portée à la personne, les soins palliatifs viennent honorer humainement le malade dans sa singularité et promouvoir le concept de dignité jusqu’au bout de la vie. Vivre sa vie jusqu’à sa mort. Le
travail de ces équipes est admirable, il renoue avec le sens profondément thérapeutique du soin médical aujourd’hui contraint par la technique. Aussi est-ce une autre forme de violence faite à ces équipes lorsque leurs collègues médecins ou leurs curatelles institutionnelles, quand ce n’est pas l’environnement familial, les pressent d’administrer techniquement et scientifiquement la mort au patient « en fin de vie », comme on dit. »

 

À propos de l’auteur 

Docteur en psychopathologie, Jérôme Alric est psychologue, psychanalyste.

Il exerce depuis plus de 15 ans dans le Département des soins palliatifs du CHRU de Montpellier, à l’UMSP (Unité mobile de soutien et de soins palliatifs, depuis 2000) et à l’UASP (Unité d’Accompagnement et de soins palliatifs, de 2007 à 2013. Membre de la SFAP (Société française d’accompagnement et de soins palliatifs), il fait partie du Comité pédagogique du Master « Recherche clinique en médecine palliative » à l’Université Paris-Diderot et enseigne dans ce cadre.

Il est chargé d’enseignement universitaire à Montpellier (Université  des lettres Paul Valéry Montpellier III, Université de médecine) et aussi dans de nombreuses écoles paramédicales.

Jérôme Alric est aussi membre fondateur d’Espace Analytique Languedoc, (regroupement de psychologues cliniciens, de psychanalystes et de soignants) rattaché à l’association psychanalytique EspaceAnalytique. Dans ce cadre, il anime le séminaire « Psychanalyse, Médecine, Institution : enjeux contemporains ».

Lire un extrait : http://www.sauramps-medical.com/wp-content/uploads/2016/06/extrait.pdf

Recension

Recension par C. Marin dans « Recensions », Jusqu’à la mort accompagner la vie, Presse Universitaire de Grenoble, 2017/1 (N° 128), p. 115-122.

Jérôme Alric publie ici sa thèse de doctorat en psychologie, soutenue en 2006, à l’université d’Aix‐Marseille I, sous la direction du professeur Roland Gori. Rappelons que l’auteur exerce depuis plus de quinze ans à l’UMSP du CHRU de Montpellier, qu’il a aussi une expérience en UASP, qu’il est membre de la SFAP et qu’il enseigne dans plusieurs univer‐ sités. Il est, enfin, membre fondateur de l’Espace analytique Languedoc, association de formation psychanalytique et de recherches freudiennes.

Ce livre, de notre point de vue, peut faire beaucoup de bien au lecteur. Il est ce petit pas de côté qui nous permet d’apercevoir autrement le monde de la santé et sa logique des soins face à la maladie grave et à la mort. En effet, l’auteur nous encourage à comprendre et peut être à résister, d’une certaine façon, aux règles des chiffres et des statistiques qui nous éloignent du sujet et de son vécu singulier. En tant que psychanalyste en soins palliatifs, l’auteur a le souci de chaque patient qu’il accom‐ pagne. Il soutient la complexité de l’activité psychique toujours à l’œuvre face à la mort, dans sa dimension imprévisible parfois, ses choix irrationnels souvent. C’est dans un style clair et péda‐ gogique que J. Alric nous explique sa conviction d’une perti‐ nence de la pratique psychanalytique dans l’accompagnement

palliatif, allant même jusqu’à soutenir l’idée que les soins pallia‐ tifs pourraient être une chance de résurgence pour la psychana‐ lyse, menacée de disparaître dans de nombreuses institutions de soins aujourd’hui. L’auteur relève dans sa thèse, les nombreux paradoxes dans lesquels sont plongés soignants et soignés au moment de la maladie grave :

– Comment soutenir la vie psychique quand la mort annoncée, anticipée par la médecine, sidère la pensée, le désir ?
– Comment laisser s’exprimer le doute, l’ambivalence, l’angoisse, l’espoir du malade dans une médecine moderne et technique, celle‐là même qui attend du patient, informé de sa mort à venir, un discours serein, éclairé, maîtrisé ?

– Comment les soins palliatifs vont‐ils pouvoir trouver une place dans la médecine actuelle, s’ils cherchent à accompagner chaque personne gravement malade, comme unique et singulière ? – Les soins palliatifs pourront‐ils résister à l’inflation psycho‐ logisante pragmatique que le monde médical prescrit et décide à travers des demandes de soutien psychologique, de relation d’aide, d’écoute active ? Comme des techniques relationnelles à visée adaptative et normalisante, certaines de ces manières de faire incitent le patient à parler de sa mort, véritable forçage psy‐ chique selon J. Alric, confrontant le sujet à un impossible, c’est‐ à‐dire devoir faire par avance le deuil de soi‐même. L’auteur critique ici très directement les stades du mourir, enseignés dans de nombreuses écoles médicales, paramédicales, en réfé‐ rence à la terminologie d’E. Kübler‐Ross (1969).

On l’aura compris, J. Alric propose à partir de la psychanalyse une tout autre approche en soins palliatifs. En restituant des récits cliniques, sur lesquels son travail de recherche s’appuie, il rend compte subtilement d’une rencontre soignant‐soigné qu’il définit comme pure, c’est‐à‐dire dégagée de toute attente précise à l’encontre du patient. Il ne s’agit surtout pas pour le psychologue clinicien se référant à la psychanalyse, de faire coïn‐ cider la parole subjective du patient avec le discours médical.

Ici c’est plutôt soutenir une forme d’ignorance, de non‐savoir sur la mort, plus en accord avec le fonctionnement de la vie psy‐ chique. Cette écoute et cette rencontre semblent apaiser le sujet, et libérer une parole créative et vivante, plaçant la personne dans la perspective de son histoire propre, malgré la fin de la vie. Si la demande des malades est souvent de savoir dans un pre‐ mier temps, leur diagnostic, leur espérance de vie, à partir de données objectives, scientifiques et statistiques, c’est sans doute pour trouver quelques moyens de se situer dans le monde compliqué qu’entraîne la maladie, les traitements, l’hôpital. Mais, très vite, le patient semble avoir besoin de retrouver ses propres repères subjectifs. L’écoute des psychanalystes aux côtés des médecins, a ici tout son sens. En tous les cas, de nom‐ breux travaux de recherche théorico‐cliniques mentionnés dans cette thèse témoignent de l’intérêt des psychanalystes à travailler en milieu médical. Comment soulager la douleur mais aussi supporter le corps souffrant ? Comment tenter d’éradi‐ quer les symptômes tout en comprenant leurs sens psychiques ? Comment décrypter le désir derrière la plainte et veiller à la dignité de chaque patient ?

Ainsi, ce que peut favoriser la psychanalyse, selon l’auteur, est une plus grande connaissance de l’autre et de soi, et c’est dans ce sens qu’elle a toute sa place auprès des soignés mais aussi des soignants, au moment de la confrontation à la maladie et à la mort. Le psychologue d’inspiration psychanalytique, n’est pas là pour faire parler le patient, mais il est toujours attentif, là où ça parle. Cette parole, dans la rencontre et dans le transfert‐contre‐ transfert, se construit pas à pas entre le patient et celui qui l’écoute. Cette prise de parole remet en mouvement la pensée, permet de retrouver un sens à l’histoire du sujet. Cette relance désirante pour J. Alric, est non seulement à accompagner, mais aussi à favoriser. Elle donne une place au vœu d’immortalité et à travers lui à l’immortalité du désir.